Irène Albert, une vie des deux côtés de la Méditerranée (III)

Irène dans les années 1950 - Collection particulière© Mdep

Après la disparition de son mari François, Irène hésita à rejoindre sa sœur Raymonde à Paris. Procesa, l'autre sœur dont elle avait été si proche, était morte à 43 ans d’un cancer, suivie de leurs parents en 1952 et 1954. Irène avait la quarantaine et plus grand-chose ne la retenait dans cette Algérie qui commençait à s'agiter. Maman, âgée de 18 ans à la mort de son père, a toujours pensé que la famille aurait pu alors repartir d’un bon pied. D'un côté ou de l'autre de la Méditerranée.

Irène et ses trois enfants, Rio Salado 1948
Collection particulière © Mdep 

Mais ma grand-mère prit tout le monde de court en se remariant très vite après son veuvage avec Antonio, le parrain de Petit Pierre. Par la suite, il deviendrait pour nous les petits-enfants "Pépé Antoine". Plus âgé qu’Irène de quatorze ans et somme toute assez ennuyeux, il représentait pour elle la sécurité car il était propriétaire de vignes et négociant en vin.

Une situation qui ne leur servit pas tellement par la suite : étant sujet espagnol, il ne put prétendre à aucune indemnisation de la part de l'état français après l’indépendance de l’Algérie. Seule Irène récupéra un petit pécule en dédommagement de la perte de son magasin.

Ma grand-mère et moi à Rio Salado en 1961
Collection particulière 
© Mdep 

Le temps de l'exil


Ses deux filles mariées chacune à un "métropolitain" et très vite mamans, Irène quitta l'Algérie comme tant d'autres au début des années 1960. Antoine, Irène et Petit Pierre s'installèrent dans un petit village écrasé de soleil proche de Nîmes, Bernis. Leur maison très verticale et un peu biscornue est indissociable de mon enfance. Nous y passions une partie de nos vacances, et la plupart des fêtes de famille. Que de fous rires avons-nous partagé mon frère, mes cousins et moi avec notre grand-mère !

Irène n'engendrait pas la mélancolie et adorait raconter des blagues pas toujours du meilleur goût. Elle avait une voix cristalline et chantait divinement bien, toujours en espagnol, la langue de l’enfance. Elle cuisinait bien aussi : à Pâques, nous étions réquisitionnés pour émietter les galettes qu'elle intégrerait au dernier moment dans le gaspacho qui mijotait sur le canoun dans sa courette. 

Avec elle nous allions aussi dans la garrigue cueillir des plantes sauvages ou ramasser des escargots après la pluie qu’elle faisait dégorger avec de la farine. Spectacle qui nous fascinait !

Les soirs d'été, nous prenions le frais dehors, comme "là-bas". Mes grands-parents avaient également un grand appartement à Alicante, où ils passaient une partie de l'année et où nous allions parfois les retrouver l'été. Irène y avait retrouvé du côté d'Elda des cousines espagnoles qui n'étaient pas passées par la case Algérie. 


Irène Garcia dans sa maison de Bernis (Gard) Années 1980
Collection particulière © Mdep

En 1972, Antoine mourut, et Irène se retrouva une fois de plus seule et maîtresse de sa vie. Elle avait 59 ans. Elle vécut ses dernières années entre sa maison de Bernis et un appartement à Sète, jamais très loin de ses copines rapatriées ni de sa famille. Plus tard, les voyages à Alicante - où elle se rendait en bus via Valence - devinrent trop longs pour une vieille dame. La Costa Blanca fut remplacée par la Costa Brava où elle acheta un appartement à Ampuria. Maman se plaignait tout le temps qu’on n'arrivait pas la suivre.

Peut-être l’exil de son pays natal empêche-t-il à jamais de s’ancrer quelque part…  

Fin 


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