Irène Albert, une vie des deux côtés de la Méditerranée (I)

Collection particulière © Mdep

Ce 13 avril, ma grand-mère maternelle Irène Albert-Verdu aurait eu 110 ans. Cela fera 25 ans demain qu'elle nous a quittés. Née à Prudon, département d’Oran, à l'époque où l’Algérie était française, sa famille avait quitté la province de Valencia en Espagne à la recherche d'un ailleurs plus clément. Je ne sais pas très bien ce que faisait mon arrière-grand-père, je crois qu’il allait là où l’on avait besoin de bras, d’où les fréquents déplacements de sa famille.

Cinquième de la fratrie, ma grand-mère fut la première à naître sur cette terre d'Afrique du Nord. Il me faut ici raconter une anecdote à propos de sa naissance. Les frères et sœurs aînés de ma grand-mère avaient tous des prénoms espagnols, Evaristo, Alejandro, Procesa et Remedios (qui plus tard, se fera appeler Raymonde). 

Remedios, Procesa Albert-Verdu et leurs petites sœurs Henriette et Irène, ca 1920 
Collection particulière © Mdep

Irène aurait dû s’appeler Incarnación et ne doit son prénom qu’à l’audace de sa jeune marraine qui, chargée de la déclarer à l’état civil sous ce patronyme peu flatteur, décida au dernier moment de lui donner un prénom en vogue. Il paraît que mon arrière-grand-mère, "l'abuela", entra dans une colère folle quand elle l’apprit. Mais le prénom lui resta. 

Irène et un de ses neveux, ca 1923 - Collection particulière © Mdep

Placée comme bonne à neuf ans 

A cette époque, dans les familles pauvres d’Algérie comme ailleurs, les enfants travaillaient très jeunes. Ma grand-mère m’a raconté un jour qu’à 9 ans elle lavait « le parterre » chez des riches, dans une salle à manger qui lui paraissait aussi grande qu’une salle de bal. Elle eut de nombreux patrons, c’est comme ça qu’elle les désignait, les « patrons », dont certains étaient très gentils avec elle. 

L’un d’entre eux, s’apercevant de sa maigreur, lui fit apporter des huîtres à l’office ! Le dernier employeur qu’elle eut avant de se marier était un dentiste d'Oran pour lequel elle faisait le ménage mais également l’accueil des patients. Dans cette grande et élégante ville, son destin aurait pu être tout autre si sa sœur Procesa ne l’avait appelée auprès d’elle à Rio Salado lorsqu’elle accoucha de son troisième enfant.

Irène , ca 1930 - Collection particulière © Mdep

Un beau mariage

Irène avait 17 ans, elle était très belle, et c’est comme ça qu'un fringant fils de famille, François Sanchez, la remarqua. Contrairement à ceux d'Irène, ses parents étaient ce qu'on pourrait qualifier de nantis. Eux aussi d'origine espagnole mais andalouse, ils étaient tous les deux nés en Algérie, mon arrière-grand-père, Pierre Sanchez en 1877 et sa femme Philomène Torrès en 1879. Après des débuts difficiles à Béni-Saf sur la côte méditerranéenne, ils avaient réussi à se faire une place au soleil dans ce département français d’outre-mer. 

Mon arrière-grand-père était courtier en vin et possédait également à Rio Salado un dépôt de carburant. Chez eux, on écoutait de la grande musique et des airs d’opéras sur un gramophone d’après les souvenirs de maman qui, bien que toute petite, avait pu mesurer la différence de classe entre ses deux parents.

Pierre et Philomène avaient trois enfants, Manuel, François et Juliette. Ils avaient acheté à leur cadet un garage où il travaillait quand il rencontra la jolie Irène.

 François Sanchez et son père Pierre, ca 1930
Collection particulière © Mdep

Pour mieux comprendre la portée de cette mésalliance, il faut avoir à l’esprit ce que sa sœur rétorqua à ses amis quand ils lui demandèrent qui François allait épouser :  une « bonniche »  fut sa réponse. 

Dans les contes de fées, les fils de rois épousent parfois des bergères mais en général, c’est parce qu’ils en sont tombés fous amoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, ce sera d’ailleurs la seule version que ma grand-mère soutiendra.


Mariage d'Irène et François en 1931 
Collection particulière © Mdep

Pourtant, les années qui suivirent ne semblèrent guère lui donner raison. Toujours comme dans les contes, ils auraient pu se marier, avoir de beaux enfants et vivre heureux. Mais il faut croire que ce n’était pas leur destin. A peine neuf mois après leur mariage, ma grand-mère accoucha à 19 ans de sa première fille, Juliette. Puis, trois ans plus tard, d'une autre petite fille, Pierrette, ma mère. 

Mon grand-père avait déjà depuis longtemps cessé de réparer des voitures préférant les cafés et les parties de cartes avec ses copains de bamboche. Début 1935, ignorant que sa femme était enceinte de ma mère, il partit en Espagne s'engager dans la guerre qui venait de commencer au côté des Franquistes contre les Républicains... 

François Sanchez à Rio Salado, ca 1930  - Collection particulière © Mdep

A suivre...

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