Irène Albert, une vie des deux côtés de la Méditerranée (II)

 

Trois sœurs, Irène, Procesa et Raymonde ~ Algérie ca 1930 
Collection particulière © Mdep

Un mari engagé dans la guerre d'Espagne

Je me suis longtemps demandé pourquoi mon grand-père maternel François Sanchez et son beau-frère Jaime Pujol, le mari de Raymonde, étaient partis combattre en Espagne dans l'armée de Franco. Choisir l'autre camp, celui des Républicains, ç'aurait eu une toute autre gueule. Oui mais voilà, on ne choisit pas ses ancêtres et qui est-on pour les juger à l'aune de notre époque ?


François Sanchez et Jaime Pujol en Espagne - ca 1935
Collection particulière © Mdep

En faisant quelques recherches sur le contexte de l'entre-deux-guerres en Algérie, j'ai compris que les "colons" étaient dans leur grande majorité de droite et contre le communisme qui menaçait leurs acquis. Un autre cousin germain de François, Eugène Pointel, fils de Mathilde, la sœur de mon arrière-grand-père Pierre, était secrétaire d'une section du PPF (Parti Populaire Français) à Oran.  

L'organe de ce parti d'extrême-droite, l'hebdomadaire L'Oranie Populaire dans son Carnet du 30 juillet 1938 annonce le décès à Rio Salado de mon arrière-grand-père Pierre Sanchez, oncle du "camarade" Eugène Pointel. Peu étonnant dans ce climat que des jeunes gens issus de l'Algérie Française aient choisi de s'enrôler du côté franquiste. Le goût de l'aventure a peut-être aussi joué son rôle...
 

Une commerçante bien en vue

Que devint Irène restée seule en Algérie en l'absence de son mari ? Pour subvenir à ses besoins, Irène s'installa chez sa sœur Procesa avec son bébé, Pierrette, et confia Juliette à ses grands-parents paternels de ses trois à ses six ans. Elle fit alors preuve d’une hardiesse incroyable pour l’époque quand, apprenant un jour qu’une petite épicerie était à vendre, elle prit son courage à deux mains et alla trouver son beau-père dans un café où il faisait sa partie de dominos.

En ce temps-là, les femmes n’entraient pas dans ces lieux réservés aux seuls hommes. Pierre Sanchez était apparemment un homme juste, il écouta sa bru et lui prêta la somme nécessaire. A partir de ce jour-là, et bien qu’elle travaillât tous les jours par la suite, sa vie changea. Vint le jour où François finit par rentrer. Irène dut pour ce faire lui envoyer un mandat à Marseille pour qu’il puisse prendre le bateau du retour vers l'Algérie.

En 1940, Irène vendit l'épicerie et racheta une librairie bureau de tabac dépôt Hachette sur le Boulevard national. Ce commerce la rendit très vite populaire auprès des Saladéens, et plus tard, des militaires  - dont mon père - venus acheter journaux et cigarettes. Ma grand-mère trouva semble-t-il dans son commerce une consolation à ses soucis personnels. 

La librairie de Madame Sanchez ca 1950 - Collection particulière © Mdep

En octobre 1943, mes grands-parents eurent un dernier enfant, un garçon tant espéré par Irène, qu'elle appela Pierre. Séparé de onze et huit ans de ses grandes sœurs et portant le même prénom que son grand-père paternel, il devint pour tous « Petit Pierre » et reçut pour parrain un homme qui devait avoir son importance par la suite, un métayer espagnol ami de François prénommé Antonio.

Probablement traumatisé par la guerre et victime de ses excès d’alcool et de tabac, François ne le vit pas longtemps grandir puisqu'il mourut prématurément en 1953. Il avait 48 ans. 

A suivre...

Commentaires

  1. C'est une enquête quelque peu douloureuse, tu as eu le courage de l'écrire.

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